Morale

L’immunité du héros sadien est absolue. Aucun être humain n’a ce privilège, aucun dictateur, aucun tyran… Ce héros n’a à tenir compte du jugement de personne, mais seulement du sien (dans la mesure où il pourrait être affecté par le remords, par exemple). Il est au-dessus des lois et de la vengeance des hommes comme de toute crainte possible ou imaginable ; rien ne peut l’atteindre. Le tyran le plus absolu ne peut jamais être  totalement serein. Il vit toujours dans la crainte d’une vengeance possible, d’un assassinat, etc., ou encore, au moins du jugement des autres ou de sa propre conscience (Hitler, Staline, Néron, Caligula, etc… étaient de ceux-là). C’est cette liberté absolue qui nous permet enfin de comprendre nos limitations, c’est en nous montrant qu’aucun d’entre nous ne peut, ni ne pourra jamais jouir d’une liberté égale à la leur que cette immunité est de fait une leçon de morale, d’autant plus forte que ces héros se complaisent dans le crime. S’ils étaient juste à peine un peu moins cruels, un peu moins féroces ou inhumains, ils auraient encore quelque chose à voir avec nous, mais en sevrant tout lien avec notre commune humanité, ils deviennent des modèles et une leçon de morale, puisque personne ne peut se permettre ce qu’ils se permettent, sans songer aux conséquences de leurs actes. Ceux qui s’effraient à la lecture de Sade, le font parce qu’ils s’effraient de découvrir en eux ces mêmes monstres dont ils lisent les exploits; c’est pourquoi la lecture en est morale, mais ne le serait pas si le héros sadien agissait par passion (motif de la littérature ordinaire), et non par principe. S’il tue, ainsi, c’est pour donner de la vie. Son immunité devenue notre nous aide à comprendre que nous sommes tous les criminels potentiels que nous ne sommes pas.

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