Mort

Ce que nous appelons mort est un moment essentiel du mouvement de la matière, puisque pour la Nature, la mort n’a pas de réalité : « Sitôt qu’un corps parait avoir perdu le mouvement, par son passage de l’état de vie à celui que l’on appelle improprement mort, il tend, dès la même minute, à la dissolution : or, la dissolution est un très grand état de mouvement. Il n’existe donc aucun instant où le corps de l’animal soit dans le repos ; il ne meurt donc jamais ; et parce qu’il n’existe plus pour nous, nous croyons qu’il n’existe plus en effet : voilà où est l’erreur. Les corps se transmutent… se métamorphosent ; mais ils ne sont jamais dans l’état d’inertie. Cet état est absolument impossible à la matière, qu’elle soit organisée ou non. »[1] Ces éléments qui composent toute matière (atomes et particules) ne changent pas, si par contre la matière change de forme : « Il n’y a point de destruction réelle ; la mort elle-même n’en est point une, elle n’est physiquement et philosophiquement vue, qu’une différente modification de la matière, dans laquelle le principe actif, ou si l’on veut, le principe du mouvement, ne cesse d’agir, quoique d’une manière moins apparente. La naissance de l’homme n’est donc pas plus le commencement de son existence, que la mort n’en est la cessation ; et la mère qui l’enfante ne lui donne pas plus la vie, que le meurtrier qui le tue, ne lui donne la mort ; l’une produit une espèce de matière organisée dans tel sens ; l’autre donne occasion à la renaissance d’une matière différente, et tous deux créent. »[2] (Ce moment de renaissance est chez Spinoza celui du passage de la nature naturante (natura naturans) à la nature naturée (natura naturata), et vice-versa). Nous ne cessons pas d’ailleurs de mourir et de renaître à chaque instant, comme le note Graziani,[3] qui met en évidence le rapport de l’œuvre de Sade avec le Taoïsme : « Si l’on veut réellement en finir avec la mort comme avec le négatif en général, il faut contrer la force des affects liés à la mort par un ensemble d’émotions au moins aussi fortes ; il faut agir par des leviers puissants. Or ces leviers, Tchouang-tseu les trouve non pas dans la raison délibérante, mais dans la force de suggestion de certaines images, dans les créations merveilleusement plastiques de l’imagination, c’est-à-dire dans la littérature. »[4] (Je souligne) Sade vise à nous réconcilier avec l’idée de la mort en opposant aux affects négatifs liés à elle des émotions aussi fortes qu’eux.[5] Dans un univers où tout est matière et mouvement, la mort ne devrait pas effrayer, elle devrait plutôt inspirer un sentiment de repos et de paix : « Mourir, c’est cesser de penser, de sentir, de jouir, de souffrir : tes idées périront avec toi ; tes peines et tes plaisirs ne te suivront point dans la tombe : envisage donc la mort d’un œil paisible, non pour alimenter tes craintes et ta mélancolie, mais pour t’accommoder à la voir d’un œil calme, et pour te rassurer contre les fausses terreurs que les ennemis de ton repos travaillent à t’inspirer. »[6]

Puisque la pulsion sexuelle mène nécessairement à la mort, il faut aussi concevoir qu’enthousiasme pour le sexe et enthousiasme pour la mort, sont une même chose.

[1] Sade, Oeuvres. Paris : Gallimard-Pléiade, Vol. II, p. 946.

[2] Ibid. Vol. III, p. 876-7.

[3] Graziani, Romain. Fictions philosophiques du « Tchouang-Tseu ». Paris : Gallimard, 2006, p. 216.

[4] Ibid. p. 220-1.

[5] Le lien entre l’érotisme et la mort est à cet effet chez lui constamment souligné : « Bandole n’aimait les femmes que pour en jouir ; en était-il rassasié, il était impossible de les mépriser davantage. Ce qu’il y avait de très singulier, c’est qu’il ne s’en servait jamais que pour leur faire des enfants, et que jamais il ne manquait son coup ; mais, c’est l’usage qu’il faisait de ce fruit qui sans doute était plus extraordinaire encore ; on l’élevait jusqu’à dix-huit mois ; les avait-il atteints, le funeste étang, ou nous venons de le voir plonger un de ces fruits, devenait le cercueil universel de tous. » Sade. Vol. II, p. 573-4.

[6] Ibid. p. 582.

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