Ordre

« La question est de savoir pourquoi il y a de l’ordre, et non pas du désordre, dans les choses. Mais la question n’a de sens que si l’on suppose que le désordre, entendu comme une absence d’ordre, est possible, ou imaginable, ou conce­vable. Or, il n’y a de réel que l’ordre; mais, comme l’ordre peut prendre deux formes, et que la présence de l’une consiste, si l’on veut, dans l’absence de l’autre, nous parlons de désordre toutes les fois que nous sommes devant celui des deux ordres que nous ne cherchions pas. L’idée de désordre est donc toute pratique. Elle correspond à une certaine déception d’une certaine attente, et ne désigne pas l’absence de tout ordre, mais seulement la présence d’un ordre qui n’offre pas d’intérêt actuel. Que si l’on essaie de nier l’ordre complètement, absolument, on s’aperçoit qu’on saute indéfiniment d’une espèce d’ordre à l’autre, et que la prétendue suppression de l’une et de l’autre implique la pré­sence des deux. Enfin si l’on passe outre, si, de parti pris, on ferme les yeux sur ce mouvement de l’esprit et sur tout ce qu’il suppose, on n’a plus affaire à une idée, et du désordre il ne reste qu’un mot. Ainsi le problème de la connais­sance est compliqué, et peut-être rendu insoluble, par l’idée que l’ordre comble un vide, et que sa présence effective est superposée à son absence virtuelle. Nous allons de l’absence à la présence, du vide au plein, en vertu de l’illusion fondamentale de notre entendement. »

(Henri Bergson. L’Évolution créatrice. Alcan, 1939, 297-8.)

Et comme nous le rappelle Sade ce qui est ordre pour la nature est précisément le contraire pour nous (et vice-versa).

“Les philosophes ne se sont guère occupés de l’idée de néant. Et pourtant elle est souvent le ressort caché, l’invisible moteur de la pensée philoso­phique.” (Ibid.).

This entry was posted in Uncategorized. Bookmark the permalink.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *