Sade et le Zen

Pourquoi le maitre Zen répond-il toujours à côté de la question ? Si par exemple vous lui demandez, « Pourquoi le Bouddha est-il venu en Chine ? », il vous répondra « Le seau d’eau au milieu de la cour, » ou quelque chose de similaire. « Trois kilos de riz, » « Le cyprès au fond de la cour, » etc. Cependant, ce sont encore des réponses. La question est alors de savoir pourquoi il n’a pas répondu à la question par quelque chose de logique. Par exemple, « Pour enseigner sa doctrine, » ou « Pour y trouver des disciples, » etc. La question n’est donc pas de savoir rationnellement pourquoi, au sens où nous l’entendons normalement, mais pourquoi dans un sens différent, qui est celui d’une non-réponse (laquelle est cependant toujours une réponse). On pourrait ici citer Socrate, quand il dit que « tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien. » Le maître de Zen avoue ne rien savoir, mais il avoue ne rien savoir seulement par rapport à la question posée, et il le fait, sur le mode de savoir quelque chose. C’est-à-dire que la réponse « Le cyprès au fond de la cour » est toujours une réponse adéquate à la question de savoir pourquoi le Bouddha est venu en Chine. Quelle en est la raison ? La raison, bien sûr, en est de faire réfléchir le néophyte, qui doit maintenant se demander quel est le rapport entre la question qu’il a posée et la réponse du maître, et ici, la première évidence est toujours la meilleure : rien. Il n’y a aucun rapport entre la question et la réponse. C’est-à-dire qu’il y a, ici, un vide. Un vide rationnel, ou logique, et voulu, et c’est-à-dire aussi que c’est sur ce vide que le maître veut que le néophyte réfléchisse. Pourquoi le maître n’a pas répondu par une réponse rationnelle, ce qui serait le plus facile ? Eh bien, c’est justement pour ceci que le néophyte aurait eu une réponse à sa question, et n’aurait pas eu besoin de réfléchir. La réflexion est ce qui est donc le plus important pour le maître, et non pas la réponse, ou la logique, et ici se situe une philosophie : c’est que le discours rationnel n’explique rien. Mais alors, quel est le rapport avec l’œuvre de Sade ? Je pourrais répondre « Le seau d’eau au milieu de la cour. » Enfin, lisez Sade. Vous comprendrez.

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Système sadien de la nature

Certaines choses sont vraies même si elles ne sont pas évidentes. Le fait qu’une chose que nous voyons dans un paysage ou un être vivant sont un assemblage ; assemblage d’atomes et de particules subatomiques en mouvement, rassemblés au moment de la création, et qui se déferont au moment de la disparition de l’objet, être ou chose. Tout n’étant que matière et mouvement, dans l’univers, tout ne consiste ainsi que dans un certain type d’organisation d’atomes et de particules qui retournent au creuset de la nature à la destruction de l’objet pour reparaître ensuite ailleurs sous différentes formes : « Rien ne périt, rien ne se détruit dans le monde ; aujourd’hui homme, demain ver, après-demain mouche, n’est-ce pas toujours exister ?», comme le mentionne le moribond de Sade.  [1]  Ce que nous considérons être une création et ce que nous supposons être une destruction, sont donc en fait dans ce cycle une même chose sous deux formes différentes, l’une organisée dans l’entité créée, et l’autre désorganisée, si bien que chaque nouvelle création est de la sorte une forme de destruction par rapport à la première, en retenant en elle un certain arrangement d’atomes et de particules, alors que toute destruction est aussi et à l’inverse une nouvelle création, en contribuant à la naissance de nouvelles formes, êtres, ou choses. Il n’est pas interdit de voir ici une sorte de miracle, si l’on veut, au sens où nous ne connaissons pas les règles de fonctionnement du cycle. Les êtres qui nous entourent et tels que nous voyons sont tous le résultat direct d’une destruction, et d’une dissémination d’atomes et de particules, dont nous ne saurons jamais la cause, et c’est aussi pourquoi pour Sade tous les êtres ont une égale valence, et que « La vie de l’homme le plus vertueux du monde n’est point à la nature d’une importance plus grande que celle d’une huître, » comme il l’écrit. Cette matière organisée que nous sommes, elle aussi en mouvement, participe du même mouvement universel que n’importe quelle autre forme de matière, si toutefois en suspens, au même flux héraclitéen, dans lequel on n’a même pas la possibilité de s’immerger une seule fois, puisqu’il est constant. C’est en ce sens que Spinoza nous fait comprendre que « toute détermination est négation,»[2] puisque toute détermination, ou création, est négation des éléments qui la composent, comme ces éléments sont aussi la négation de l’être créé.

Si nous pouvions voir un arbre différemment que ce que nous le voyons (en supposant, par exemple, que nous soyons équipés d’un appareil oculaire qui le permettrait,) nous pourrions voir le compact d’atomes et particules en mouvement qui le composent, mais que notre système visuel nous fait voir autrement. Par contre, nous ne verrions pas le moment où ces atomes se combinent, ni comment ils s’organisent pour devenir arbre, ceci restant en dehors de notre pouvoir, et se situant au-delà de l’objet, dans le mystère des causes premières du cycle de la matière ; nous ne pouvons pas voir le moment où les atomes libérés par la « désorganisation »[3] d’un être quelconque se recombinent ailleurs sous une autre forme, mais dans les deux cas, matière et mouvement constituent une forme d’énergie, comme l’a découvert Einstein (E = mc2). Chaque entité, chaque être est une forme d’énergie, dans les trois domaines, minéral, végétal et animal, dotée chacune d’un certain temps donné de longévité, également vouée à la « désorganisation,» aussi bien sous d’autres formes ; minérales pour les minéraux (ou soit pour servir de nourriture à des végétaux ou des animaux, sous forme altérée), et il en va de même pour les animaux. Toutes les formes périclitent ainsi et/ou meurent et contribuent ainsi au cycle de la matière.

Sade place donc toutes les formes sur un même plan. La Nature, si elle pouvait parler (ce qu’il imagine), pourrait ainsi nous dire : « Que tu détruises ou que tu crées, tout est à peu près égal à mes yeux, je me sers de l’un et de l’autre de tes procédés, rien ne se perd dans mon sein : la feuille qui tombe de l’arbuste, me sert autant que les cèdres qui couvrent le Liban ; et le ver, qui naît de la pourriture, n’est pas d’un prix moindre, ni plus considérable à mes yeux, que le plus puissant monarque de la terre. » [4]

Toute forme existe en donnant ici ce qu’elle prend ailleurs, et c’est également pourquoi  « Le pouvoir de détruire n’est pas accordé à l’homme, il a tout au plus celui de varier des formes, mais il n’a pas celui de les anéantir ; or toute forme est égale aux yeux de la nature, rien ne se perd dans le creuset immense où ses variations s’exécutent, toutes les portions de matière qui s’y jettent se renouvellent incessamment sous d’autres figures et quelles que soient nos actions sur cela, aucune ne l’offense directement, aucune ne saurait l’outrager, nos destructions raniment son pouvoir, elles entretiennent son énergie mais aucune ne l’atténue. »[5]

À l’intérieur du cycle des formes créées prévalent certaines lois, spécifiques aux espèces, mais ces lois ne sont pas significatives pour la Nature, puisqu’elle peut se servir du matériau fourni par la destruction de n’importe quelle espèce pour en créer de nouvelles. Ainsi donc, chacune espèce a ses propres lois (conscientes ou pas), comme c’est le cas pour les animaux, et toutes ont pour but de permettre à l’espèce de perdurer. Une histoire de l’univers, si elle devait jamais être écrite faite, serait ainsi celle de la résistance des espèces à la loi naturelle, qui est celle de leur destruction en tant que formes organisées, et la seule loi de la nature que nous connaissions, est celle de la destruction qui lui permet de nouvelles créations. Nos lois, et comme celles de toutes les espèces, sont donc ainsi le contraire de celles de la nature. et c’est pourquoi le meurtre ou la violence, qui sont des crimes pour nous, sont au contraire la loi de la Nature : « Si l’une des premières lois de la nature n’était pas la destruction de tous les êtres, assurément je pourrais croire qu’on outrage cette nature inintelligible, en procédant à la destruction. Mais dès qu’il n’existe pas un seul procédé de la nature qui ne nous prouve que la destruction lui est nécessaire, et qu’elle ne parvient à créer qu’à force de détruire, assurément tout être qui se livrera à la destruction, n’aura fait qu’imiter la nature. Je dis plus, celui qui s’y refuserait, l’offenserait grièvement ; et si, comme on n’en peut douter, nous ne lui fournissons des moyens de créer qu’en détruisant, assurément plus nous détruirons, et mieux nous servirons ses vues ; si le meurtre est la base des lois régénératrices de la nature, bien certainement l’homme qui servira le mieux la nature, sera le meurtrier ; et de ce moment plus il multipliera ses meurtres, et mieux il accomplira les lois d’une nature dont les seuls besoins sont des meurtres. » [6]

Nos lois, nos institutions, nos religions, ou nos cultures sont orientés sur la préservation de l’espèce, alors que la loi de la nature, que les philosophes des Lumières confondent avec les nôtres, est axée sur la transformation et le changement, parce que nous ne sommes, pour elle qu’une forme indifférente, et comme le fut celle des dinosaures, ou des autres espèces disparues : « La nature permet la propagation ; mais il faut bien se garder de prendre sa tolérance pour un ordre. Elle n’a pas le plus petit besoin de la propagation ; et la destruction totale de la race, qui deviendrait le plus grand malheur du refus de la propagation, l’affligerait si peu qu’elle n’en interromprait pas plus son cours que si l’espèce entière des lapins ou des lièvres venait  à manquer sur notre globe. »[7]

Les lois des espèces doivent donc être expliquées de manière hétérogène à celle de la nature, et en dehors de toute morale, en ce qui nous concerne, dans le seul contraste et par opposition de mouvements. Où il s’agit d’un mouvement centrifuge, du côté de l’espèce, tendant à conserver et à faire perdurer, il s’agit d’un mouvement centripète du côté de la nature, qui tend au contraire à la dispersion. Nos lois visent à la préservation de l’espèce, et sont en même en même temps une forme de résistance à la loi naturelle, qui elle a besoin de destruction. On peut illustrer par l’imagine d’un nageur, dont les mouvements lui permettent de résister au courant qui l’entraîne.

Un tel niveau de conceptualisation et d’abstraction est très élevé (Sade écrit qu’ « Il faut beaucoup de philosophie pour me comprendre, ») et ne fut jamais atteint ou égalé par aucun autre penseur des Lumières. Dans un siècle particulièrement fertile en systèmes, tous les différents systèmes de la nature restent ainsi partiels et incomplets. Peut-être que la principale raison en serait que les philosophes, qui avaient très bien compris l’importance du concept de nature pour tout programme de réforme, et aussi le fait qu’ils l’ont efficacement utilisé dans leur critique du status quo, préférèrent limiter leur concept de Nature au domaine moral et politique.[8] Ils ont bien compris que la nature était plus grande que l’espèce, mais ils n’ont pas su, ou voulu, en tirer les conséquences logiques qui s’imposaient comme a su le faire Sade.

En fait, et ce fut quasi-universellement leur erreur, il faut éviter de confondre Nature et Nature de l’Espèce. Diderot par exemple (mais on pourrait en donner mille exemples), écrit que « La loi naturelle est l’ordre éternel et immuable qui doit servir de règle à nos actions. Elle est fondée sur la différence essentielle qui se trouve entre le bien et le mal. (sic). Ce qui favorise l’opinion de ceux qui refusent de reconnaître cette distinction, c’est d’un côté la difficulté que l’on rencontre quelquefois à marquer les bornes précises qui séparent la vertu et le vice : de l’autre, la diversité d’opinions qu’on trouve parmi les savants mêmes qui disputent entre eux pour savoir si certaines choses sont justes ou injustes, surtout en matière de politique, et enfin les lois diamétralement opposées les unes aux autres qu’on a faites sur toutes ces choses en divers siècles et en divers pays ; mais comme on voit dans la peinture, qu’en détrempant ensemble doucement et par degrés deux couleurs opposées, il arrive que de ces deux couleurs extrêmes, il en résulte une couleur mitoyenne, et qu’elles se mêlent si bien ensemble, que l’œil le plus fin ne l’est pas assez pour marquer exactement où l’une finit et l’autre commence, quoique pourtant les couleurs soient aussi différentes l’une de l’autre qu’il se puisse : ainsi quoiqu’en certains cas douteux et délicats, il puisse se faire que les confins ou se fait la séparation de la vertu et du vice, soient très-difficiles à marquer précisément, de sorte que les hommes se sont trouvés partagés là-dessus, et que les lois des nations n’ont pas été partout les mêmes, cela n’empêche pas qu’il n’y ait réellement et essentiellement une très grande différence entre le juste et l’injuste. La distinction éternelle du bien et du mal, la règle inviolable de la justice se concilie sans peine l’approbation de tout homme qui réfléchit et qui raisonne ; car il n’y a point d’homme à qui il arrive de transgresser volontairement cette règle dans des occasions importantes, qui ne sente qu’il agit contre ses propres principes, et contre les lumières de sa raison, et qui ne se fasse là-dessus de secrets reproches. Au contraire, il n’y a point d’homme qui, après avoir agi conformément à cette règle, ne se sache gré à lui-même, et ne s’applaudisse d’avoir eu la force de résister à ces tentations, et de n’avoir fait que ce que sa conscience lui dicte être bon et juste. »[9]

Ce que est ici défini c’est la loi de l’espèce, mais pas celle de la Nature, pour laquelle il est indifférent que nous existions ou pas : «Nous nous imaginons que la perte d’un être aussi parfait que nous dégraderait toute la nature, et nous ne concevons pas qu’un homme de plus ou de moins dans le monde, que tous les hommes ensemble, que cent millions de terre comme la nôtre, ne sont que des atomes subtils et déliés, indifférents à la nature. »[10]

Nos concepts de bien et de mal, ou de vice et de vertu, etc., étant seulement relatifs à  l’espèce, à notre nature, n’ont rien à voir avec la nature. En fait, et ironiquement, si ce n’était pas dramatique, plus nous croyons nous diriger vers le bien et plus nous nous dirigeons au contraire vers le mal. Il suffit de constater comment l’explosion démographique d’une espèce qui n’a pas de prédateur naturel (ce qui serait pour elle un « mal » mais toujours un « bien » pour la nature), est en train de nous petit à petit à notre propre destruction.

(Michelet, héritier et continuateur des Lumières, écrivait encore que le mal « exige, pour être compris, un détail minutieux, » alors que le bien, le ‘naturel’ « va coulant de lui-même, nous est presque connu d’avance par sa conformité aux lois de notre nature, par l’image éternelle du bien que nous portons en nous. »[11] (sic). Il reprend leur même erreur, qui fut de confondre, et de mettre dans un même sac nature et espèce. Mais le fait est qu’il ne s’agit pas seulement d’un détail historique, et nous partageons toujours encore la même erreur.)

Le « système sadien », sa philosophie de la nature, permet de rendre compte aussi bien à la fois des lois physiques propres à l’univers, que de celles, morales, propres à l’espèce. En effet, et tous nos affects nous étant inspirés par la nature (et sinon, par quoi d’autre ?), on ne peut pas non plus supposer qu’il y ait une seule de ces inspirations qui puisse être  mauvaise ; elle ne peut l’être que par rapport à la loi : « Si la nature avait voulu nous empêcher de faire des crimes, s’il était vrai que les crimes l’irritassent (ce qui est l’opinion de la philosophie des Lumières), elle aurait bien su nous empêcher les moyens de les commettre ; quand elle les laisse à notre disposition, c’est qu’ils ne l’outragent point, c’est qu’ils lui sont indifférents ou nécessaires. »[12] Le philosophe explique « Rien ne nous est défendu par la nature ; les lois seules se sont crues autorisées d’imposer certaines bornes au peuple, relatives à la température de l’air, à la richesse ou à la pauvreté du climat, à l’espèce d’hommes qu’elles maîtrisent. Mais ces freins purement populaires n’ont rien de sacré, rien de légitime aux yeux de la philosophie, dont le flambeau dissipe toutes les erreurs, ne laisse exister dans l’homme sage que les seules inspirations de la nature. Or, rien n’est plus immoral que la nature ; jamais elle ne nous imposa de freins, elle ne nous dicta jamais de lois. »[13] Mais les lois restent cependant nécessaires, et ne sont pas inutiles, puisqu’elles président à la cohésion de l’espèce, comme clarifié dans La Philosophie dans le boudoir : « Faisons peu de lois, mais qu’elles soient bonnes ; il ne s’agit pas de multiplier les freins, il n’est question que de donner à celui qu’on emploie une qualité indestructible ; que les lois que nous promulguons n’aient pour but que la tranquillité du citoyen, son bonheur, et l’éclat de la République. »[14]

Ainsi donc, Nature et espèce, ou culture, ne se doivent rien : « Les rapports de l’homme à la nature, ou de la nature à l’homme, sont nuls ; la nature ne peut enchaîner l’homme par aucune loi ; l’homme ne dépend en rien de la nature ; ils ne doivent rien l’un à l’autre et ne peuvent ni s’offenser, ni se servir ; l’un a produit malgré soi : de ce moment, aucun rapport réel ; l’autre est produit malgré lui, et, conséquemment, nul rapport. Une fois lancé, l’homme ne tient plus à la nature ; une fois que la nature a lancé, elle ne peut plus rien sur l’homme ; toutes ses lois sont particulières. Par le premier élancement, l’homme reçoit des lois directes dont il ne peut plus s’écarter ; ces lois sont celles de sa conservation personnelle… de sa multiplication, lois qui tiennent à lui… qui dépendent de lui, mais qui ne sont nullement nécessaires à la nature ; car il ne tient plus à la nature, il en est séparé. Il en est entièrement distinct, tellement, qu’il n’est point utile à sa marche… point nécessaire à ses combinaisons, qu’il pourrait ou quadrupler son espèce, ou l’anéantir totalement, sans que l’univers en éprouvât la plus légère altération. S’il se détruit, il a tort, toujours d’après lui. Mais aux yeux de la nature, tout cela change. S’il se multiplie, il a tort, car il enlève à la nature l’honneur d’un phénomène nouveau, le résultat de ses lois étant nécessairement des créatures. Si celles qui sont lancées ne se propageaient point, elle lancerait de nouveaux êtres, et jouirait d’une faculté qu’elle n’a plus. »[15]

La Nature n’est donc certainement pas cette force bienveillante, et avatar de la divinité, qu’imaginaient les philosophes, bonne Mère veillant au bonheur de sa progéniture (à condition qu’elle lui obéisse), alors que, que nous existions ou pas est pour elle la même chose.[16] Nous sommes donc libres de faire tout ce que nous voulons, par rapport à elle, si non pas par rapport à la loi (aussi bien morale que physique), mais sana oublier que dans les deux cas, l’excès conduit à la punition (privation de liberté pour qui viole la loi morale, destruction de sa santé pour qui ne tient pas compte de physique). De la sorte, l’homme naviguer entre deux eaux, et c’est pour l’aider à s’y retrouver que Sade prend la plume : « Le chef-d’œuvre de la philosophie serait de développer les moyens dont la fortune se sert pour parvenir aux fins qu’elle se propose sur l’homme et de tracer d’après cela quelques plans de conduite qui puissent faire connaître à ce malheureux individu bipède la manière dont il faut qu’il marche dans la carrière épineuse de la vie, afin de prévenir les caprices bizarres de cette fortune qu’on a nommée tour à tour Destin, Dieu, Providence, Fatalité, Hasard, toutes dénominations aussi vicieuses, aussi dénuées de bon sens les unes que les autres, et qui n’apportent à l’esprit que des idées vagues et purement subjectives. »[17]

« L’individu malheureux bipède » que nous sommes est déterminé par les lois qui régissent l’espèce, mais s’il y a ici continuité physique, ce que nous appelons morale n’est en fait jamais que le jeu des poids dans la balance des affects. Sade pense comme Pascal que « Nous ne  nous soutenons pas dans la vertu par notre propre force, mais par le contrepoids de deux vices opposés, comme nous demeurons debout entre deux vents contraires : ôtez un de ces vices, nous tombons dans l’autre. »[18] Pour lui aussi, « L’équilibre, en morale comme en physique, et la première des lois de la nature. »[19] Chacun est déterminé différemment, suivant lieu de naissance et histoire personnelle, et sans doute responsable devant la justice de son pays, mais jamais coupable non plus pour la nature. La morale pour elle n’existe pas : « Il est égal au maintien des lois de la nature que Paul suive le mal, pendant que Pierre se livre au bien. Ce qu’il faut à cette nature compensatrice, c’est une somme égale de l’un et de l’autre ; et l’exercice du crime, plutôt que celui de la vertu, est la chose du monde qui lui est la plus indifférente. »[20]

L’éthique qu’enseigne Sade est celle de l’athéisme, déterministe et matérialiste, qui est le sien, et qui explique toujours le mal en termes de causes physiques : « Quand l’anatomie sera perfectionnée, on démontrera facilement, par elle, le rapport de l’organisation de l’homme aux goûts qui l’auront affecté. Pédants, bourreaux, guichetiers, législateurs, racaille tonsurée, que ferez-vous quand nous en serons là ? Que deviendront vos lois, votre morale, votre religion, vos potences, vos paradis, vos Dieux, votre enfer, quand il sera démontré que tel ou tel cours de liqueurs, telle sorte de fibres, tel degré d’âcreté dans le sang ou dans les esprits animaux suffisent à faire d’un homme l’objet de vos peines ou de vos récompenses ? »[21]

 

Norbert Sclippa

College of Charleston, S.C.

 

Bibliographie

 

Buffon. Histoire naturelle. Paris : Gallimard, 1984.

Delon, Michel. Le savoir-vivre libertin. Paris : Hachette, 2015.

Diderot, Denis. Encyclopédie, ou Dictionnaire  raisonné des sciences, des arts et des métiers.

Le Brun, Annie. Les châ  Paris : Folio, 1986.

Michelet. Histoire de la Révolution française, vol. I. Paris : Gallimard La Pléiade, 1952.

Pascal. Pensées. Paris : Livre de Poche, 1962.

Roger, Philippe. Sade, la philosophie dans le pressoir. Paris : Grasset, 1976.

Sade, Donation, Aldonse, François, Marquis de. Œuvres. Paris : Gallimard La Pléiade. Vol. I, 1990, Vol. II, 1995 , Vol. III, 1998.

________________________________. Œuvres complètes. Paris : Cercle du Livre Précieux, 1966.

_________________________________. Cahiers personnels. Paris : Corréa, 1953.

Sclippa, Norbert. Lire Sade. Paris : L’Harmattan, 2004.

____________. Sade : Pensées. Paris : L’Harmattan, 2023.

Spinoza, Baruch. L’Éthique. Paris : Gallimard, 1954.

Voltaire. Dictionnaire philosophique. Paris : GF-Flammarion, 1964.

Notes :

[1] Vol. I, p. 10.

[2] « Omnis determinatio est negatio. »

[3] C’est le terme qu’utilise généralement Sade.

[4] C’est la nature qui parle. Vol. III, p. 884-5.

[5] Ibid. Vol. II, p. 35.

[6] Ibid., Vol. III 450-1.

[7] Ibid., p. 240.

[8] « La Révolution formula en lois la philosophie du XVIIIe siècle, » écrit Michelet, et ces lois nous gouvernent encore, d’une manière ou d’une autre. C’est-à-dire que nos institutions, et d’une manière générale aussi notre sensibilité et nos mœurs, sont basés sur une compréhension de la nature erronée.

[9] Denis Diderot, article « Loi naturelle ». Encyclopédie.

[10] Sade, Vol. III, p. 878.

[11] Michelet, p. 395-6.

[12] Sade, Vol. III, p. 333.

[13] Ibid., p. 224-5.

[14] Ibid., p. 152-3.

[15] Ibid., p. 871.

[16] « Elle se fiche bien de nous, la nature, » écrivait Flaubert.

[17] Sade, Vol. II, p. 395.

[18] Pascal, Pensée 325, p. 150.

[19] Sade, Vol. III, p. 283.

[20] Ibid., Vol. II, p. 1041.

[21] Ibid., p. 676.

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L’amant de sa mère

Quand Sade se dit l’amant de sa mère, il n’exagère pas. Lui et elle son mariés, et c’est un couple heureux, n’en déplaise aux cocus de la terre…

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A conversation about Sade

A Conversation on Sade, (on the ​C18-L@LISTS.PSU.EDU​, 12/30/2023—1/6/2024).

A conversation about Sade between myself and a colleague (C.) on the 18th-century Literature list.

12/30/20123.

Reader, amateur, enthusiast, volunteer, or professional: the fictional character is a person that does not exist. In such a way that you can do whatever you want with it. You can cut it up, break its limbs, saw off its body, extract its brain and put molten lead in its place, and so on and so forth, and it doesn’t matter since it does not exist. That’s why you should read Sade.

The question at hand is: a fictional character does not exist, so I can do whatever I want with it, as a writer, and if it pleases me to do so and to torture or destroy it in whatever which way I want, why should I deny myself the pleasure to do so?

Norbert Sclippa

Happy New Year. (Which scientifically should be celebrated on Dec. 22cd., of course.)

……………….

Norbert —

If you take pleasure in torture, even of only a fictional character, what does that say about you?

Does the moral status of an act reside in the person committing the act, the person acted upon, or both?

C.

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But let us not forget that it is not Sade doing this, it is his characters, fictional themselves, that are doing it to other fictional characters. The moral status of the act is already fictional : it resides in the fictional character committing the act, Sade’s project being “to divulge all the caprices, all the tastes, all the secret horrors to which men are subject in the fire of their imagination.” (120 Days of Sodom). It is us he paints. Not himself.

Best wishes,

Norbert

……………….

No, it’s how he views us, not who we are. He doesn’t actually see into anyone else’s mind.

What I think he’s looking into is a mirror.

C.

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And what he sees in the mirror is us. Does it matter then if what he sees behaves in that or that way? And is it not the same?

Norbert

…………………

Sun 12/31/2023 11:57 AM

We all follow the “Golden rule” not to do unto others what we wouldn’t want others to do unto us, because we have learnt from experience that not to do so could be detrimental to us. But a fictional character does not have to abide by this rule; he is fictional, and he can therefore behave in the exact opposite way if he wishes to without any fear of backlash… That was the great discovery of Sade. It is not a matter of morals, it is a matter of logics. As Sade writes: “Every character in any dramatic work must employ a language in keeping with his character, and when he does, ’tis the fictional personage who is speaking, not the author. In such an instance, ’tis indeed common that the character, inspired by the role he is playing, says [or does, of course] things completely contrary to what the author may say [or do] when he himself is speaking. Imagine what a man Crébillon would have been were he always to have spoken in the accents of Atrée; or what a person Racine, if his thoughts had been only those of Nero. Fancy what a monster Richardson would have been had his principles been only those of Lovelace!” (from the letter “Sade à Villeterque”)…

N.S.

…………………

I don’t think anyone would disagree with that general idea. But no artworks in any medium are just passive reflections of our physical or social environments. They are selective, and by being selective, they are engaged in a kind of commentary.

Because the characters are fictional, it’s nonsense to talk about what the characters themselves wish, at least in the sense of having conscious agency and making motivated choices. Fictional characters aren’t aware of being fictional, in other words. They are the function of the author’s imagination serving at least some aesthetic purpose in a fictional work.

I wouldn’t judge Sade just for writing horrifying characters who do horrify things. But I’m free to disagree with him if he presents that as a kind of internal or external norm. The point is the author’s and then the narrative attitude towards his or her own work. Depiction by itself is never advocacy: sometimes a narrative depicts an act to condemn it, sometimes to valorize it, sometimes to consider it, sometimes to make a point about the world, etc.

C.

……………………….

I believe that what we are discussing here is the Sartrian notion of the responsibility of the writer. Sartre writes that a writer is responsible for his characters. But how can one be responsible for people that do not exist, except by projecting on them one’s sense of responsibility? That is to say, what we consider to me moral in this world is now projected in another world, where morality does not exist, and except as projection. So, the mirror… If we make a face before a mirror, the mirror will make a face, will show us making a face, but the mirror itself doesn’t make a face. So that, as far as the mirror goes, whether we make a face or not, or anything else whatsoever, makes no difference. The mirror is always empty. Replace mirror by fiction, and you have Sade’s fiction. Sade tells us that whatever we see in the mirror is what we see there: “Have you not seen, Justine, mirrors of different shapes, some that diminish objects, others that magnify them, some that make them frightful, some that lend charms to them? Can you not now imagine that if each of these mirrors united the creative faculty with the objective faculty, it would not give an entirely different portrait of the same man who had looked into it, and would not this portrait be because of the way in which it would have perceived the object. If, to the two faculties which we have just attributed to this mirror, it were now to add that of sensibility, would it not have for this man, seen by it in this or that way, the sort of feeling which it would be possible for it to conceive for the kind of being which it would have perceived? The mirror that would have seen him awful, would hate him; the one who saw him handsome, would love him, and yet he would still be the same individual.” (From La Nouvelle Justine).

N.S.

…………………….

Sartre is just one person who has discussed this subject. The mirror doesn’t see anything: it reflects. The person in the reflection sees. It’s very weird to ascribe agency to inanimate objects but ignore the agency of the actual living subject. The novel didn’t write itself.

C.

………………………

1/1/2024

But the person in the reflection is not the same as the actual living subject. It has no morality to speak of. That is the distinction Sade makes. Most writers project their morality in the character in the mirror. Sade does not. Since he does not, there is nothing his characters can do that can be deemed to be moral, or immoral.

Have a happy New Year.

Norbert

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I think Sade is being a bit disingenuous :). He wouldn’t be the first. We’re dealing with storytellers here.

Characters can always be deemed moral or immoral regardless of the author’s intention for them, though. He’s suggesting one hermeneutic, I suppose: might be interesting to think of it as a kind of postmodernism. Everyone knows that fictional characters are not real persons. People generally also know that they are representations of real persons (not necessarily specific ones), however. Characters that are intentionless, amoral, and void, just like a reflection in a mirror, are probably not worth reading.

Happy New Year to you too.

C.

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Two points though, before we move on. You call Sade disingenuous. There is no more honest writer. You question his moral fiber. There is no more moral writer. I hope to be able to develop these two points sometimes in the future.

Best regards,

Norbert

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I don’t think I specifically questioned Sade morality in our discussion. What you’re describing isn’t immorality: it’s amorality. I did say he was being disingenuous if he so completely divorced his novels from his own thinking. They are what he sees in the world. That’s a function both of the world, objectively, that he is seeing and his own habits of perception. I don’t mean to say that what he saw wasn’t there. His vision is just pitifully narrow by your description.

C.

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On the question of morality, I take your comment “If you take pleasure in torture, even of only a fictional character, what does that say about you?” to relate to morality. You call it amorality, but Sade wants to be writing the first immoral novel in history (his own words), not because he believes that fiction is amoral, but because he believes it is moral. (It is what you summarize as “sometimes a narrative depicts an act to condemn it, sometimes to valorize it, sometimes to consider it, sometimes to make a point about the world, etc.”). Sade does want to consider morality, but it is to utterly defeat it, and he wants to make a point about the world, but that is to show that fiction has nothing to do with morality. He wants the mind to be entirely free, and that can only be done by eliminating every shred of morality (which of course doesn’t contradict our being perfectly moral in life, and precisely so because real life is a different realm. We have to abide by rules here, not in fiction.)

Best,

Norbert

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1/4/2024.

When you say that Sade is being disingenuous, I wonder what you mean. How is he being disingenuous in showing that what is happening in the mind is not a reflection of what is happening outside, but is entirely separate from it and to the extent that we can think whatever we want without affecting anything of what is happening outside of it?

N.

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1/6/2024.

Not sure what you mean here. All writers see the world in their own mind, and not in anyone else’s. Camus is not Dostoïesvky. Marguerite Duras is not Truman Capote. But then, writers picture caprices, tastes, and horrors in other people’s minds, in their characters. James Joyce in Leopold Bloom’s, for instance. Or Camus, in Meursault’s. Or Stendhal, in Fabrice Del Dongo’s, and so on. Are you saying that the work of Sade is circular? This is also the point of view of Roland Barthes as you probably know. (Sade, Fourier, Loyola, The Johns Hopkins University Press, 1997.)

Norbert

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Sade’s claim here is not to see into the minds of his characters, but to see into the minds of other men: “What is different in Sade is the project to ‘to divulge all the caprices, all the tastes, all the secret horrors to which men are subject in the fire of their imagination.'”

It may be clear in context that he really means to be speaking about his characters, but the sentence as quoted is about other persons.

Jim R

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Yes, and it is his characters that are divulging “all the caprices, all the tastes, all the secret horrors to which men [people, humans] are subject in the fire of their imagination.” He follows here the pattern of others, notably Montaigne, in taking himself as object of observation for the phenomenon, with the difference that unlike Montaigne he has his characters spell out his caprices, tastes, and secret horrors. Like Montaigne, he means to see in his own mind on the mode of universality. Here is how he describes his project:

“The plan was to have described to them [the four libertines, by the four storytellers], in the greatest detail and in due order, every one of debauchery’s extravagances, all its divagations, all its ramifications, all its contingencies, all of what is termed in libertine language its passions. There is simply no conceiving the degree to which man varies them when his imagination grows inflamed; excessive may be the differences between men that is created by all their other manias, by all their other tastes, but in this case it is even more so, and he who should succeed in isolating and categorizing and detailing these follies would perhaps perform one of the most splendid labors which might be undertaken in the study of manners, and perhaps one of the most interesting.” ( The 120 days of sodom.pdf (archive.org), p. 33. )

Norbert

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1/9/2024

To be more precise, perhaps, with (- C -), when Sade says “On n’est pas criminel pour faire la peinture des bizarres penchants qu’inspire la nature” — “One is not a criminal to paint the bizarre inclinations inspired by nature,” (Epigraph to the novels Justine and Juliette), he of course means to say that it is not a crime to paint, as inspired to him those inclinations inspired to man by nature.

n.s. 

 

 

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Le plus grand de nos philosophes

La grandeur de l’homme, s’est de se reconnaître petit, et peu en sont capables. Certains se reconnaissent petit devant Dieu, mais c’est encore se reconnaitre grand. C’est se reconnaître petit devant la Nature qu’il faut, et peu en sont capables. Sade est le seul philosophe à l’avoir compris, et à l’apprendre, et c’est aussi ce qui fait en même temps de lui le plus grand de nos philosophes. C’est en comprenant qu’on n’est pas plus important qu’un puceron, qu’on comprend aussi que le puceron et aussi important et nécessaire que nous, et de la différence on peut dériver l’idée d’une harmonie universelle. Faire passer le chameau à travers le trou d’une aiguille, c’est seulement se rendre compte de cette humilité : le chameau, c’est la pensée. Le trou, le concept. Mais il ne faut pas non plus se croire grand parce qu’on y parvient, ou sinon, tout est gâché. C’est en se sachant aussi puceron que possible, qu’on y parvient.

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Revue de lecture : Florbelle, de Jacques Cauda.

L’ouvrage de Jacques Cauda se présente comme un texte assez court (87 pages, y-compris les illustrations), à la fois roman, poème en prose (ou proème), et réflexion philosophique et morale.

L’ouvrage est dans la droite ligne du projet sadien, qui, rappelons-le, est de « divulguer tous les caprices, tous les goûts, toutes les horreurs secrètes auxquels les hommes sont sujets dans le feu de leur imagination. » (Les Cent Vingt Journées de Sodome, p. 236). Cependant, c’est aussi ici que réside une différence essentielle, et que Cauda est en fait plus proche de Rousseau que de Sade. En effet,  les caprices, goûts, et horreurs secrètes en question sont chez Cauda ceux de l’auteur lui-même, alors que Sade vise à l’universalité. En ce sens, Florbelle se rapprocherait plutôt des Confessions de Rousseau.

Jacques Cauda avoue sa vérité. Il faut bien voir qu’il le fait honnêtement, sans aucun fard et aussi avec un grand courage. Mais il s’agit plutôt de psychothérapie que de fiction et de thérapie tout court, au sens où l’entend Sade, qui lui veut nous parler de l’homme, pas de lui-même, et même s’il se prend lui-même comme modèle (comme aussi Montaigne).

Dans le préambule du roman, Sade explique que son projet est « de raconter avec les plus grands détails, et par ordre, tous les différents écarts de la débauche, toutes ses branches, toutes ses attenances, ce qu’on appelle en un mot, en langue de libertinage, toutes les passions. (Ibid., c’est moi qui souligne), et il vise donc déjà à peindre tous ces « bizarres penchants » que nous inspire la nature (comme tel est l’épigraphe de Justine et de Juliette). Pour ce faire Sade attribue à autrui (à ses personnages) les passions en question : elles sont celles de l’homme, où celles de Cauda restent les siennes, même bien entendu si son ouvrage participe de la même philosophie !

Ajoutons que l’écriture en est brillante, et la culture, vaste. Il y a des pensées profondes, et de très beaux poèmes. (Mon favori est celui sur la mère, Chère maman sais-tu l’exaltation des selles, pp. 54-56). On y retrouve du Rimbaud, notamment dans la détestation de la mère (La Folcoche, la folle et cochonne de Rimbaud), du Baudelaire, et bien entendu, Sade.

Norbert Sclippa

College of Charleston, S.C., le 28 décembre, 2023.

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Le catharisme de Sade

Il ne fait aucun doute que Sade et un auteur cathare. Il est même le meilleur des auteurs cathares, si on veut bien considérer par ceci qu’il est celui qui a le mieux compris, et pratiqué la doctrine cathare.

Mais, me dira-t-on, le catharisme est une religion, et Sade est loin d’être religieux.

Je le sais, mais alors, il faut voir qui, du catharisme ou de Sade, a mieux compris le catharisme.

Car le catharisme n’est pas seulement une religion. Il l’est, en tant que doctrine établie, mais il est aussi une certaine discipline spirituelle, et là, il faut bien se rendre compte que le catharisme ne tient pas ses promesses.

Expliquons-nous. Le catharisme, en bref comme en long, c’est cette idée que tout ce qui a à voir avec l’esprit est bon, et que tout ce qui a trait à la matière est mauvais. Il s’agit de ce qu’on appelle un dualisme, dans lequel donc, il y a deux.

Ce qui est exactement ce qu’on rencontre dans l’œuvre de Sade. Songez-y. Toute son œuvre est œuvre de l’esprit, comme toute littérature d’ailleurs, mais dans laquelle on n’a absolument aucun respect pour la matière : (tortures, abus, destructions de toutes sortes, etc., etc. ; c’est surtout la destruction de la matière qui en fait l’objet).

C’est aussi ce qui me fait concevoir que les gens du Nord, disons, de l’ancienne France d’oïl, ont plus de difficulté à comprendre Sade que les gens de l’ancienne langue d’oc, du midi, plus familiers avec le catharisme. Lisez l’œuvre de Sade dans cette perspective et vous comprendrez mieux en quoi elle se rapporte à un exercice spirituel cathare où tout ne peut être que bon, puisqu’il s’agit toujours de l’esprit, et où tout ce qui a trait à la matière mauvais.

Ce qui explique aussi pourquoi Sade a été persécuté par la culture dominante judéo-chrétienne.

Sade, le dernier des purs, le dernier des Cathares !

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La soucoupe

J’aime bien l’histoire de la “soucoupe,” de Jean-Jacques Pauvert,[1] soucoupe de plongée, submersible, dans laquelle il aurait la capacité de disparaître et de s’isoler hermétiquement du monde. (Déjà, bien entendu, le château de Silling !)

[1] Sade vivant, Robert Laffont, 1986.

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Déterminisme : Sade, mieux que Voltaire.

La raison pour laquelle Sade est devenu l’icône la mieux représentative des Lumières, à mon avis, est à cause de son déterminisme intégral. Voltaire, dont les sorties contre les matérialistes sont bien connues, n’est en fait qu’un « demi-déterministe, » au sens où il conçoit bien le déterminisme dans le domaine physique (comme par exemple dans cette analogie : « Un paysan croit qu’il a grêlé par hasard sur son champ, mais le philosophe sait qu’il n’y a point de hasard, et qu’il était impossible, dans la constitution de ce monde, qu’il ne grêlât pas ce jour-là en cet endroit), »[1] mais pas du tout dans le domaine moral où  l’idée de choix persiste, chez lui. Voltaire n’a pas compris que nos affects sont aussi comme la grêle du paysan : nous ne les choisissons pas, ils nous viennent (pour le pire comme pour le meilleur). Helvétius est un des rares à part Sade à avoir conçu le déterminisme moral (par exemple, dans cette déclaration : « Les passions sont, dans le moral, ce que, dans le physique, est le mouvement ; il crée, anéantit, conserve, anime tout, et sans lui tout est mort : ce sont elles aussi qui vivifient le monde moral,) »[2] mais de là à en faire le pivot de sa philosophie, comme Sade, il y a loin, et je ne doute pas que sa lecture l’aurait peut-être horrifié autant que Voltaire ! (et sans doute que La Mettrie non plus ne l’aurait pas bien goûtée, puisqu’il reste encore attaché à l’idée de libre-arbitre). [3]

[1] Voltaire. Dictionnaire philosophique, article « Destin ».

[2] Helvétius. De l’esprit. Paris : Fayard, 1988, p. 268.

[3] Pour La Mettrie, « la nature n’ordonne pas la perversion, mais une jouissance mesurée par la « Loi naturelle». »[3] Paul-Laurent Assoun. La Mettrie, L’homme machine. Paris : Denoël/Gonthier, 1981, p. 162.

 

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Sur la liberté

Les conditions de la liberté sont sociales, mais la liberté est toujours individuelle. N’importe qui, dans n’importe quelle société, peut être libre si les conditions le lui permettent, mais personne ne le sera, si elles ne le font pas. C’est pourquoi dans les dictatures ou régimes totalitaires peu de gens sont libres, puisque la structure sociale procède de la confiscation des libertés individuelles. L’idéal totalitaire, c’est la confiscation, la suppression et l’absorption de toutes les libertés individuelles : la Corée du Nord, la Russie, et la Chine d’aujourd’hui. C’est pourquoi Sade reste le révolutionnaire ultime, et pourquoi il ne sera jamais toléré dans un régime totalitaire. Sade est le champion incontestable de la liberté individuelle. On peut l’ignorer et chacun et libre de le faire, mais les conditions de cette liberté sont essentielles, ou bien elle ne peut tout simplement pas exister, et c’est pourquoi les démocraties sont si importantes. Si Sade venait à disparaitre, j’ose dire qu’il n’y aurait plus de liberté dans le monde. Nous serons tous devenus des machines.

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